Ma vie. Mon histoire. Mon passé. Mon expérience. Que de jolies foutaises. En général, ce genre de choses n'intéressent personne. Mais je ne suis pas n'importe qui. Une bonne partie de mon passé recèle des éléments qui pourraient agir comme de belles preuves pour m'envoyer tout droit en taule et pour plus longtemps que mon père. Mais hé, n'allez pas vous faire de fausses idées sur mon compte. Je n'ai rien d'un criminel, je suis même quelqu'un de très droit. J'ai des principes, je n'ai jamais rien fait qui aille à l'encontre de la Loi. Ou du moins, de ma loi. A mes yeux, c'est la seule qui compte, la seule qui mérite d'être respectée. Qu'est-ce que je peux bien en avoir à foutre de leurs amendements ? Je ne crois qu'en ce que j'écris de ma propre main, qu'en ce qui sort de mes lèvres, qu'en ce que je vois. Et ce que je vois, c'est que la loi que ces fameux représentants de l'ordre s'échinent à faire respecter n'a fait que forger un monde dans lequel les Mafieux tels que nous n'ont eu qu'à tendre la main pour s'emparer du Pouvoir. Je ne me suis même pas présenté. Je m'appelle Moran. Liam Logan Moran. Si un frisson ne vous a pas parcouru à l'évoquation de mon nom c'est que vous n'êtes pas de Chicago. Ou alors c'est que vous faites partie de cette bande de vauriens italiens que sont les Outfit. Si c'est le cas, ce n'est qu'une question de temps avant que vous ne fassiez connaissance avec l'un de mes fidèles guns. On peut dire que j'ai été élevé dans le culte de mon grand-père. Son portrait trônait dans le salon privé de mon père et lorsqu'il me convoquait à la fin de chaque semaine pour s'enquérir de mon travail de la semaine, il s'asseyait juste sous l'image de son propre père. Elégant dans son costume sombre, les jambes soigneusement croisées, il m'apprenait les principes de cet homme que je n'avais jamais connu mais à qui il vouait une réelle vénération. George «Bugs» Moran. Un nom qu'il m'a transmis tandis que mon père me transmettait ses principes les plus importants ainsi que l'honneur. Un honneur à défendre. Mais également une haine. Contre les Capone. Et la haine fait vivre, tout aussi sûrement que l'amour. Je ne connaissais rien de ces Italiens mais je les haïssais bien assez pour être le parfait héritier Moran.
Notre demeure se trouvait tout près du quartier le plus misérable de Chicago. Et une bonne partie de ces miséreux étaient des irlandais. Ironie ? Je n'en sais rien. Il faut dire que j'ignorais tout de la misère qui pullullait dans les rues de cette immense ville. Je suis né avec une cuillère en or dans la bouche, le cul dans des draps de satin, enfin j'étais loin de manquer de moyens vous l'aurez compris. Mon père avait pour moi la plus belle des ambitions : prendre sa succession. Depuis mon adolescence, ma vie a toujours été toute tracée. Il ne m'est venu que trop tard à l'esprit que j'aie pu être manipulé et utilisé tout ce temps. Quelle importance ? Je sens tout au fond de mes tripes, lorsque je tiens une arme et que je suis au milieu de mes hommes que cette place est la mienne. La seule place qui puisse me convenir. Chicago est le seul endroit où je puisse dire «Je suis chez moi. ».
En tant que futur successeur, j'étais dans l'obligation d'être le meilleur. Quel que soit le domaine, je devais être le meilleur. Et je l'étais. Du moins jusqu'à ce que je la rencontre. Elle. Une rencontre fortuite sur le campus où nous faisions tous les deux nos études. Nous ignorions nos noms et pourtant il y eut comme...Un moment de grâce ? Je suis loin d'être un romantique accompli. Mais je me souviens encore de l'air chargé d'une tension certaine quand nos regards se sont croisés. Elle n'était pas comme les autres femmes que j'avais pu connaître. Elle était plus jeune que moi, mon cursus touchait à sa fin alors que le sien commencait. Mais dans ses yeux, je pouvait lire quelque chose que j'avais toujours recherché chez une femme.
De la force teintée de provocation. Une assurance certaine. J'aurais pu la qualifier de parfaite si elle n'avait pas porté ce nom. Ce nom honni. Capone. Je crois qu'à l'époque, elle fut tout aussi surprise d'apprendre qui j'étais vraiment. Quelque chose est né en moi quand je l'ai rencontré. Quelque chose que je m'applique à essayer d'étouffer depuis. Une attirance ? Certainement. De l'amour ? Jamais! Jamais.. On ne peut pas aimer quelque chose qu'on nous a appris à haïr depuis presque 20 ans déjà.
Et puis, j'ignorais tout de ce que les gens appellent 'l'amour'. Disons que ce que je connais le plus c'est l'alcool mêlé la baise. Le mot paraît cru mais j'ai pour habitude d'appeler un chat un chat. J'ai beau avoir été élevé dans du velours, je n'en reste pas moins un homme rempli d'hormones qui se laisse bien plus mener par ce que lui dicte sa queue que sa raison. Je suis encore jeune, merde! Alors je ne vois pas pourquoi je me priverais. Et puis, malgré mon statut de Chef de Gang, je n'ai jamais eu à forcer une femme à partager mon lit. Au contraire, elles s'y glissent plutôt volontiers. Je suis un passionné, une seule chose ne m'a jamais suffi. Je veux acquérir tout ce qui me plaît, quel qu'en soit le prix. Je pense que seuls comptent les besoins : de la chair, du sang, de la faim. Et puis comment résister à l'appel alangui d'un joli corps ? Je n'ai jamais tenté d'y résister et ce n'est pas demain la veille que je vais commencer! Il est vrai que mon appétit sexuel m'a bien souvent mis en danger. Draguer certaines nanas des Outfits juste sous leur nez n'était sans doute pas l'une de mes idées les plus brillantes mais j'aime le goût du danger. Je réalise bien trop souvent que mon statut me confère le pouvoir de faire ce que je veux tout autant qu'il m'emprisonne. Parfois, j'ai juste l'envie de tout envoyer balader, d'enfourcher ma moto en compagnie d'une belle jeune fille et de disparaître pour quelques jours. Mais je n'en ai pas la possibilité. « Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. » Je ne sais plus qui est l'auteur de cette phrase mais j'irais volontiers lui faire sauter la cervelle. Ma jeunesse me pousse parfois à être tenté par les pires folies. Adolescent poussé dans ce monde qui l'a vu naître et qui doit le transformer. Un garçon devenu un homme. J'ai souvent ce goût amer dans la bouche quand j'entraperçois les barreaux de ma cage dorée.
Je devins vraiment un homme le jour où mon père fut envoyé en prison. Les hommes du gang était venu me chercher derrière le bâtiment comme à leur habitude. Mais ce jour-là, le bras droit de mon père était parmi eux et je compris alors qu'il s'était passé quelque chose. Il n'était pas mort comme je l'avais cru de prime abord mais il avait été capturé. Et dans notre milieu, c'était quasiment du pareil au même. Je savais que jamais ils ne le laisseraient sortir. Merde.
«Même si tu te retrouves dans le merdier le plus noir. Tu es encerclé, ton arme est enrayée, tu es seul. Même dans cette situation, ne montre jamais la moindre faiblesse. Si un Moran doit être vaincu, il sera vaincu avec les honneurs. »
Les paroles de mon père résonnaient en moi comme autant d'échos de mon adolescence perdue. J'étais le nouveau Chef et je me devais d'imposer ma nouvelle autorité dès maintenant. Leur faire comprendre que mon père n'était plus là mais que les Moran étaient encore et toujours les Maîtres du jeu. Ce ne fut pas facile, je dois l'avouer. De concilier ces deux vies. Mais j'y parvins. J'étais le meilleur après tout, plus qu'une vantardise c'est plutôt une constatation. Quand je me regarde dans le miroir, je remarque que les traits de mon visage ont changé.
Ils se sont quelque peu durci. Car les paroles ne suffisent pas à imposer le respect et la crainte, les gestes sont indispensables. C'est d'ailleurs à la crainte que j'inspire à mes ennemis que je dois la cicatrice qui m'a privé de mon oeil gauche.
Quelques hommes de mon propre gang contestaient ma prise de pouvoir, à leurs yeux je n'étais qu'un gamin, un môme sans expérience qui plus est. Ils étaient parvenu à rallier à leur cause une bonne cinquantaine d'hommes qui dérobèrent une imposante réserve d'armes. Ils commencèrent à vouloir mener leur propre loi. Ils allèrent même jusqu'à affronter un jour une partie de la bande Capone en leur affirmant qu'ils étaient à présent les meneurs du North Side Gang. A la tête de cette bande de traîtres, nul autre que le Bras Droit de mon père. Garde tes amis près de toi et tes ennemis encore plus près. Cette phrase m'apparaissait prendre tout son sens, bien que mon père l'ait appliquée sans en avoir conscience. Je ne pardonne pas la trahison. Jamais. Sous aucun prétexte.
Suivi de mes hommes, je traquais chacun de ces traîtres et les abattis de mes propres mains. Tous. Mais pour l'ami de mon père, ce ne fut pas si simple. Il n'avait pas secondé mon père pendant toutes ces années pour rien, il était fort, presque plus que moi. Un duel sanglant s'engagea, je tenais à l'éliminer de mes propres mains, j'étais jeune et fougueux. Un peu trop d'ailleurs. Il maniait parfaitement les armes blanches et j'en porte la marque indélébile sur mon oeil gauche. Un instant de faiblesse et il fit de moi un Balafré. Quelle importance puisque je fis de lui un cadavre.
Après cet incident, j'eus beaucoup de mal à m'entourer trop intimement. J'avais toujours cette crainte d'une quelconque trahison, je ne pardonnais aucune félonie. Je n'avais besoin d'aucun Bras Droit jusqu'au jour où je fis la rencontre de cette femme. Rencontre...Quel bien étrange mot vues les circonstances dans lesquelles je l'ai connue. Ou plutôt sauvée. Ombre dans la nuit, j'arpentais les ruelles les plus misérables, il faut dire que j'étais de mauvaise humeur et faire chauffer mon arme contre l'un de ces ritals m'aurait vraiment détendu. Au lieu de ça, je tombais nez à nez avec ce que je croyais tout d'abord être un couple un peu trop exhubérant. Mais je remarquai bien vite les cris de la jeune femme sur le point de se faire violer par un déchet qui n'eut même pas le temps de croiser mon regard avant qu'une balle ne vienne se ficher entre ses deux yeux. Il y a des crimes qui ne méritent ni jugement, ni indulgence.
Je jetai à peine un regard à la jeune femme au regard perdu et terrorrisé et la conduisit jusqu'à l'un de mes hôtels. La laisser seule ici à moitié nue aurait été comme l'offrir aux autres rapaces qui louvoyaient par ici. J'étais loin d'être du genre à faire de bonnes actions charitables pour le plaisir mais je voulais l'aider. Il n'y a pas d'autres raisons à fournir que celle-ci : j'avais envie de l'aider. A ma grande surprise, elle me pria de la faire rentrer dans les rangs du Gang. J'étais vraiment amusé par la conviction qu'elle affichait et j'acceptai tout d'abord dans le but de la voir renoncer à cette idée folle après avoir reçu un entraînement infernal prodigué par mes soins. Mais elle s'accrocha et passa avec brio chacune des épreuves que je lui imposais.
C'est au bout de quelques longs mois que l'idée de faire d'elle mon Bras Droit s'imposa à mon esprit. Elle ne cessai de me répéter qu'elle me serait éternellement fidèle. Elle avait le regard le plus déterminé que j'ai pu voir. Lorelei Eryn O'Neill. Une belle irlandaise au sang chaud. Pourquoi pas ?
Il faut dire que les tensions étaient à leur paroxysme. Joe Capone venait elle aussi de prendre la succession de son père. Deux têtes brûlées au pouvoir des deux Gangs les plus dangereux de Chicago,ça ne pouvait que faire de dangereuses étincelles. Chacune de nos rencontres est un champ de bataille sanglant, une lutte sans merci pour le victoire. Jamais je ne lui laisserais l'avantage et elle me le rend bien. Affrontements sans répit avec les Outfit, traques vaines avec ces ches Policiers, voilà mon quotidien. Je m'appelle Liam Logan Moran. J'ai 25 ans. Je suis le Chef du Noth Side Gang. Et le premier insolent qui osera me défier d'un peu trop près, qu'il réserve le service des pompes funèbres. Je suis jeune mais l'indulgence est parfois signe de faiblesse. Et on ne dira pas que le petit fils de Bugs Moran est un faible.
Ne quittez jamais votre arme du regard, à Chicago tout peut arriver. |